C’est un projet hors-norme, au bout du monde: la Russie inaugure vendredi son gigantesque site gazier Yamal en Sibérie arctique, érigé dans des conditions climatiques et géologiques extrêmes, avec la participation du français Total et de la Chine.
Sans frontières - Russie : Un chantier hors normes - 2016/05/19
Le groupe privé russe Novatek, à la tête du consortium international qui mène le projet, a prévu de faire partir la première cargaison de gaz naturel liquéfié (GNL) du port de Sabetta vendredi, après avoir annoncé cette semaine le début de la production de GNL sur la première ligne de production, dont la capacité prévue est de 5,5 millions de tonnes par an.
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Ce projet à 27 milliards de dollars, un des plus vastes et ambitieux du monde dans le secteur, vise à construire en trois étapes une usine de liquéfaction de gaz permettant de produire à terme 16,5 millions de tonnes par an à partir de 2019.
Ce lancement est un premier succès pour le projet, détenu par Novatek (50,1%), le français Total (20%) et les chinois CNPC (20%) et Silk Road Fund (9,9%), qui a connu des défis techniques et financiers.
Car si la péninsule de Yamal dispose de ressources considérables, il s’agit également d’une région isolée au nord du cercle arctique, à 2.500 kilomètres de Moscou, où le thermomètre peut descendre jusqu’à -50°C.
Depuis le début du chantier fin 2013, il a fallu construire un aéroport et un port en plus des réservoirs et de l’usine elle-même, en dépit de la glace omniprésente une grande partie de l’année.
«Malgré des conditions d’exploitation difficiles, Yamal LNG a été livré à temps et en respectant le budget. C’est inhabituel dans l’industrie du GNL», estime Samuel Lussac, spécialiste du cabinet Wood Mackenzie.
Avec ce lancement, «Novatek, autrefois fournisseur local de gaz, devient un acteur mondial du GNL», ajoute-t-il. Le projet permettra également à Total de monter en puissance dans le secteur GNL, dont il est le deuxième acteur mondial.
«A Yamal, on est partis de rien pour bâtir une cathédrale du XXIe siècle. Parmi tous les défis surmontés pour mener à bien ce projet gigantesque, je veux souligner en particulier notre faculté à maintenir le cap malgré les sanctions», s’est félicité le PDG de Total, Patrick Pouyanné.
«Nous sommes restés fidèles à nos partenaires russes en dépit de cet aléa, parce que c’est dans les épreuves que nos partenaires comptent sur nous et réciproquement», a-t-il ajouté.
- Sur la route du Nord-Est -
Le financement du chantier a été compliqué par les sanctions américaines contre Novatek, qui avaient brusquement rendu impossible le financement du projet par les banques occidentales. Celui-ci a pu finalement se réaliser grâce à l’apport de fonds chinois.
Un soulagement pour la Russie, pour qui ce projet présente une importance stratégique pour démontrer sa capacité à exploiter les ressources considérables de l’Arctique et afin de renforcer sa présence sur le marché disputé du GNL et alimenter ainsi davantage les pays asiatiques, alors qu’elle exporte actuellement surtout vers l’Europe par gazoducs.
Mais selon Samuel Lussac, les premiers mois montreront «si l’usine peut fonctionner sans accroc dans l’environnement hostile de l’Arctique», et «le transport par le passage du Nord-Est en est à ses débuts, il n’y a pas de certitude quant à sa viabilité en tant que voie majeure de livraison de GNL».
La Russie mise beaucoup sur le développement du trafic par cette route, un raccourci maritime rendu accessible par le réchauffement climatique et ponctué de ports et de bases militaires susceptibles de secourir les navires en détresse.
Cette route, qui longe les côtes septentrionales de la Sibérie, permet aux navires de gagner 15 jours par rapport à la voie classique qui passe par le canal de Suez, selon Total.
A Yamal, où le site ne disposait d’aucune voie d’accès terrestre ou maritime au début du projet, quinze méthaniers brise-glace seront progressivement mis en service d’ici 2019 pour livrer le GNL vers l’Europe (46%) et l’Asie (54%), selon le groupe.
Le premier d’entre eux, le méthanier «Christophe de Margerie», du nom de l’ancien PDG de Total décédé dans un accident d’avion en 2014 en Russie, doit emporter la première cargaison de Yamal vendredi.
Après Yamal, Novatek prévoit de développer un nouveau projet dans le Grand Nord, Arctique-2. Ce projet géant sur la péninsule de Gydan, dans la mer de Kara, dont la fin de la première phase de construction est prévue en 2022-2023, doit à terme produire autant que Yamal.
s défis de l'environnement arctique
Le premier acheteur est... Total lui-même. Le pétrolier français n'est pas seulement un producteur de GNL mais aussi un acteur du trading, se hissant au deuxième rang mondial avec l'acquisition de l'activité amont d'Engie . Novatek et CNPC se sont eux aussi engagés sur des volumes ainsi que le russe Gazprom et l'espagnol Gas Natural.
« Des risques » d'exécution demeurent cependant, en particulier parce que la logistique reste un défi dans « le rude environnement de l'Arctique », souligne Wood Mackenzie. La voie maritime via le détroit de Bering n'est pas éprouvée. « Sa viabilité en tant que route majeure pour le GNL est incertaine », prévient le consultant.
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